Chômage des jeunes : Faire face à la pression familiale et sociale

“Mon gars, j’ai bientôt 28 ans. Je suis l’aîné de ma famille, et j’en ai marre de vivre comme ça… J’ai honte. Il vieillit, et c’est encore lui qui s’occupe de nous.”

Ces mots, prononcés par un ami proche, résonnent probablement en vous. Parce qu’ils touchent à une souffrance silencieuse que beaucoup d’entre nous portons comme un fardeau invisible.

Ce n’est pas seulement le chômage en lui-même qui pèse. Ce n’est pas uniquement le manque d’opportunités professionnelles.

C’est ce que cette situation signifie aux yeux de la famille et de la société.

C’est le regard de ton père que tu évites. C’est la honte de rentrer chez toi sans pouvoir dire « aujourd’hui, j’ai avancé ». C’est cette question redoutée lors des réunions familiales : “Et toi, tu deviens quoi?”

La honte de la dépendance

J’en discutais récemment avec un ami. On parlait de la situation de notre pays, et plus précisément de cette galère permanente pour trouver du boulot. Lui, il est à sa deuxième année de stage. Il est reconnaissant, parce que même un simple stage devient un privilège aujourd’hui. Mais malgré tous ses efforts, rien n’aboutit. Il postule, il tente, il espère… mais ça ne bouge pas.

“Je vais intégrer l’armée, c’est ma dernière solution,” m’a-t-il confié. “Tu sais que j’évite mes parents ? Surtout mon père. J’ai honte. Il vieillit, et c’est encore lui qui s’occupe de nous. Il a investi en moi, il a espéré, et moi je suis là, sans emploi. Au moins avec l’armée, j’aurai un petit salaire. Je pourrai enfin me prendre en charge.”

Et là j’ai ressenti quelque chose de fort. Pas seulement de la tristesse. Mais une forme d’impuissance.

Parce que je comprends exactement ce qu’il ressent.

Quand je faisais mon stage l’année passée, il n’y avait pratiquement rien à faire. On passait nos journées à tuer le temps. Et moi, je rentrais le soir avec ce sentiment de vide. Et surtout, avec cette gêne de toujours dépendre de mes parents. C’est eux qui me soutenaient. Et plus le temps passait, plus je me sentais comme un fardeau.

Ce sentiment est peut-être l’un des plus difficiles à supporter pour un jeune adulte. Cette sensation d’être redevenu un enfant alors que tout en toi aspire à l’indépendance, à la contribution, à la réalisation de soi.

Cette situation paradoxale nous met dans une position impossible : adultes par l’âge, mais ramenés à une dépendance infantilisante par les circonstances.

Alors j’ai pris une décision. J’ai commencé à faire des livraisons.

Mon père n’était pas très d’accord au début. Il voulait que je continue le stage. Il ne savait pas à quel point ça me dérangeait de dépendre d’eux. Mais moi, je savais pourquoi je faisais ça.

Et je peux te dire que les mois où je faisais les livraisons, j’ai ressenti quelque chose de nouveau : la liberté. Le fait de ne plus demander d’argent à mes parents, c’était libérateur. Même si ce n’était pas grand-chose, c’était à moi. C’était mon effort.

C’est pour ça que je comprends parfaitement mon ami. Il ne veut pas forcément être militaire. Mais il veut respirer. Être à son compte. Être utile. Ne plus être un poids. Et parfois, la tenue garantit au moins un salaire.

Le poids du regard des autres

Cette pression, elle ne s’arrête pas là.

Il y a aussi les jeunes filles qui se marient, non pas par amour, mais par pression. Parce que la famille insiste. Parce qu’« à ton âge, tu devrais déjà… ». Et beaucoup finissent par regretter, parce qu’elles n’ont pas eu le choix. Elles ont plié.

Cette forme de pression est encore plus insidieuse car elle touche à notre identité la plus profonde, à nos choix de vie les plus intimes. Comme si notre valeur en tant qu’être humain se mesurait à notre capacité à cocher des cases à un âge précis.

Et puis il y a la pression sociale plus large.

Quand je suis revenu au pays, mon oncle me disait : « Tu devrais faire le concours d’inspecteur de police. »

Je lui ai dit oui, pour la forme. Mais je ne l’ai pas fait. Ce n’était pas pour moi. Et quand il l’a su, il était furieux. À chaque fois qu’il me croisait, il me rappelait : « Si tu avais fait le concours, tu ne serais pas là à souffrir. »

Un jour, j’ai fini par lui dire la vérité : « Tonton, je ne veux pas porter la tenue. Ce n’est pas ce que je veux. »

Il m’a traité d’arrogant et m’a dit que parfois on n’a pas le choix, qu’il faut juste faire. Et je comprends ce qu’il voulait dire. Mais pour l’instant, le choix m’appartient encore.

C’est dur, oui. Quand tu es jeune diplômé, que tu galères, que tu fais des stages ou des petits boulots, tu sens dans le regard des gens comme une sorte de pitié, ou de mépris.

Comme si tu ne faisais pas assez. Comme si tu ne voulais pas vraiment t’en sortir.

Et puis il y a ces moments gênants, où quelqu’un te demande : « Et toi, tu deviens quoi ? »

Et que tu réponds : « Pour le moment, je cherche encore. »

Et tu vois dans leurs yeux une forme de jugement silencieux.

Ce jugement nous fait douter de nous-mêmes, de nos choix, de notre valeur. Il nous pousse vers une fausse solution : faire n’importe quoi, pourvu que ce soit “quelque chose” aux yeux des autres.

Trouver sa voie malgré la pression

Mais ce que peu comprennent, c’est que la pression familiale ou sociale te pousse parfois à faire des choix que tu pourrais regretter à long terme. Tu prends un chemin qui n’est pas le tien, juste pour ne plus être interrogé, pour ne plus être pointé du doigt, pour faire taire le bruit autour de toi.

Les psychologues appellent cela “l’identité forclosée” – quand on adopte des choix de vie sans véritable exploration personnelle, simplement pour répondre aux attentes extérieures.

Et c’est lourd. C’est comme un fardeau sur le dos, une charge invisible qui t’épuise de l’intérieur.

J’ai appris que résister à cette pression demande du courage. Pas le courage bruyant et spectaculaire, mais ce courage silencieux de rester fidèle à soi-même quand tout te pousse à abandonner.

Car c’est peut-être là le vrai défi de notre génération : non pas seulement trouver un emploi, mais trouver notre voie authentique dans un monde qui veut nous formater.

Voici ce que j’ai découvert dans mon propre parcours :

  1. L’indépendance, même modeste, nourrit l’âme. Ces quelques FCFA gagnés en livraison valaient plus pour ma dignité que n’importe quel stage prestigieux mais vide.
  2. Les chemins conventionnels ne conviennent pas à tous. Et c’est normal. Nous vivons dans un monde plus complexe que celui de nos parents.
  3. Ton parcours n’est pas une ligne droite. Les détours, les expérimentations, les “erreurs” font partie du voyage.
  4. La vraie sécurité vient de l’intérieur. Elle ne se trouve pas dans un uniforme ou un statut, mais dans ta capacité à t’adapter et à rester fidèle à toi-même.

Alors malgré tout, courage.

Garde ton sang-froid. Écoute ton instinct. N’oublie pas que ta vie t’appartient. Et même si c’est difficile, ne te trahis pas.

Je crois, au fond de moi, que chacun de nous a un chemin unique à parcourir. Et tant qu’on ne lâche pas, tant qu’on continue à avancer avec foi et détermination, on finira par arriver là où on doit être.

Cette pression que tu ressens aujourd’hui n’est pas une condamnation. C’est peut-être, paradoxalement, l’invitation à découvrir ta propre voie, celle qui t’appartient vraiment.

– Adamou